VOLATILITÉ
Bourses : de Tokyo à Wall Street, la grande perte de repères ?
Après un « lundi noir », les places financières semblaient se reprendre mardi. Un effet yo-yo qui traduit la crainte des investisseurs face à un contexte financier et économique qui évolue plus vite qu’ils ne l’avaient prévu. Et pas forcément dans le bon sens.
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Les boursicoteurs sont-ils tombés sur la tête ? Après un lundi très sombre sur les marchés financiers mondiaux, la tendance semble s’être totalement inversée mardi 6 août… du moins à la Bourse de Tokyo. En Europe, l’humeur n’était que très légèrement positive.
La hausse enregistrée sur la place japonaise dépassait les 9 % mardi en fin de séance après avoir vécu une chute spectaculaire de 12 % la veille. « La Bourse du Japon n’avait pas connu une telle baisse depuis le choc boursier du lundi noir de 1987 aux États-Unis », souligne Alexandre Baradez, analyste financier pour le courtier en Bourse IG France. Le rebond de mardi est tout aussi inédit : « il a été tellement intense que certaines transactions ont été suspendues automatiquement [pour éviter des mouvements trop forts sur les marchés, NDLR] », indique le Financial Times.
Effet Kikkoman
« Une énorme baisse, suivie par une très forte hausse le jour d’après. Personne n’avait jamais vécu un marché aussi fou ici », reconnaît auprès du Financial Times Takeo Kamai, analyste financier pour le courtier en Bourse asiatique CLSA.
Difficile dans ces conditions de savoir sur quel pied spéculer. Ce rebond suggère-t-il un retour à la normale ? Ou alors n’était-ce qu’un épiphénomène qui ne change guère la trajectoire générale sur les marchés financiers de ces derniers jours ?
Sans préjuger de l’avenir, Alexandre Baradez constate cependant que « des acteurs du marché au Japon ont spéculé pour chercher à profiter de l’aubaine ». Autrement dit, la Bourse de Tokyo a tellement chuté lundi que certains ont jugé qu’il y avait des affaires à faire. Ils ont donc acheté des actions de sociétés qu’ils jugeaient sous-évaluées à la suite de la déroute boursière. Ces transactions ont mécaniquement contribué à faire remonter l’indice Nikkei en flèche.
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Au-delà des gesticulations de spéculateurs au Japon, les conditions qui ont mené à l’effondrement sur les marchés financiers lundi n’ont pas changé et il y a « des risques d’assister encore à des mouvements boursiers importants » cet été, estime Alexandre Baradez.
Il faut dire que les acteurs des marchés ont vu en très peu de temps leur boussole se dérégler complètement. Leurs repères économiques semblent s’effondrer les uns après les autres depuis le début de cet été.
Tout a commencé au Japon avec la Banque centrale. Aux yeux des opérateurs de marché, elle est connue pour ne pas toucher à ses taux directeurs et les maintenir très bas. Pourtant, après les avoir revus très légèrement à la hausse en mars pour la première fois en 17 ans, elle a récidivé le 31 juillet. « Les marchés financiers ont été pris par surprise par cette deuxième hausse à laquelle ils ne s’attendaient pas si tôt », souligne Alexandre Baradez.
En attendant l’IA
Cette intervention de la Banque centrale justifiait-elle la dégringolade de lundi alors que la hausse des taux décidée n’était que de 0,25 % ? « Il y a clairement eu une réponse épidermique sur le marché financier japonais », juge Alexandre Baradez. La conséquence a été la perte de confiance dans l’un des joujous favoris des investisseurs : le « carry trade ». Totalement inconnu du grand public, ce mécanisme très en vogue, qui consiste à emprunter dans une devise bénéficiant d’un taux d’intérêt très bas – ce qui a très longtemps été le cas pour le yen Japonais – et réinvestir dans des valeurs offrant des retours très élevés (comme des actions américaines, par exemple). Les gains peuvent être importants, sauf si la Banque du Japon décide soudain d’augmenter ses taux, ce qui peut obliger à payer plus cher pour rembourser le capital emprunté.
Il y a ainsi eu une grande liquidation des « carry trades » lundi, souligne la chaîne américaine CNBC. Les investisseurs ont préféré rembourser maintenant ce qu’ils avaient emprunté et revendre certains actifs qui étaient adossés à ces « carry trades » de crainte que les taux d’intérêt japonais continuent à augmenter. Des opérations qui ont amplifié la chute des cours en Bourse à Tokyo. « La plus grande liquidation de ‘carry trade’ jamais vue ne peut pas se dérouler sans casser quelques œufs », estime Kit Juckes, spécialiste des transactions en devise pour la Société générale, dans une note d’analyse citée par CNBC.
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À ce vent de panique made in Japan s’ajoute d’autres pertes de repères, cette fois-ci à Wall Street. À commencer par les promesses de monts et merveilles économiques grâce à l’intelligence artificielle – l’un des principaux moteurs boursiers depuis l’an dernier. « Les derniers résultats financiers des ‘7 fantastiques‘ [Alphabet, Amazon, Meta, Apple, Microsoft, Tesla, Nvidia, NDLR] commencent à interroger certains investisseurs sur la capacité de ces géants à rentabiliser rapidement les énormes investissements effectués dans l’IA », note Alexandre Baradez.
L’action de Nvidia, le constructeur de puces informatiques devenu symbole de la « révolution » de l’IA, a ainsi perdu près de 14 % de sa valeur lundi.
Volatilité au sommet
Mais ce n’est pas tout. « Un autre pilier qui soutenait la bonne santé des marchés depuis des années a été ébranlé : l’idée, certes un peu naïve, que la croissance américaine ne pouvait pas être arrêtée », note la chaîne économique Bloomberg.
Le chiffre du nombre d’emplois créés aux États-Unis en juillet, publié vendredi 2 août, a été inférieur à ce qui était attendu et le taux de chômage est monté à 4,3 % « alors que les analystes s’attendaient à un niveau stable à 4,1 % », souligne Alexandre Baradez. Autrement dit, « les craintes d’une récession aux États-Unis ont été ravivées », affirme CNN.
Les investisseurs américains étaient donc déjà au bord de la crise de confiance et les mauvaises nouvelles venues du Japon n’ont servi qu’à les faire basculer. C’est pourquoi des médias comme le Wall Street Journal ont évoqué le spectre du krach boursier de 1987.
Lundi, l’indice Vix, créé pour mesurer la volatilité sur les marchés et surnommé « l’indice de la peur » des investisseurs, avait atteint un niveau « qu’il n’a connu qu’à deux reprises : en 2008 après la faillite de Lehman Brothers et en 2020 au moment de la pandémie de Covid », souligne Alexandre Baradez. Mardi, il est redescendu à des niveaux beaucoup plus acceptables… tout en restant à plus de 140 % au-dessus de son niveau du début d’année.
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