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France: Michel Barnier, un profil atypique pour une mission presque impossible


Portrait

France: Michel Barnier, un profil atypique pour une mission presque impossible

L’homme choisi par Emmanuel Macron, ce jeudi 5 septembre, pour tenter de s’imposer à Matignon en pleine pétaudière à l’Assemblée, est un vieux briscard resté fidèle à la droite, mais dont le style et les positionnements s’avèrent très personnels. Si du haut de ses 73 ans, dont une bonne cinquantaine passés dans la vie publique, Michel Barnier fait office de poids lourd de la politique française, il reste l’une des personnalités connues paradoxalement les moins connues du pays. Portrait.

Le nouveau Premier ministre français Michel Barnier, plus vieil occupant du poste sous la Ve République, lors de la passation de pouvoir, ce jeudi 5 septembre 2024 à l'hôtel de Matignon, à Paris, avec Gabriel Attal, qui était le plus jeune chef du gouvernement français de la Ve.
Le nouveau Premier ministre français Michel Barnier, plus vieil occupant du poste sous la Ve République, lors de la passation de pouvoir, ce jeudi 5 septembre 2024 à l’hôtel de Matignon, à Paris, avec Gabriel Attal, qui était le plus jeune chef du gouvernement français de la Ve. AP – Stephane de Sakutin

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La presse rapporte ce jour que Michel Barnier est né à La Tronche, commune limitrophe de Grenoble, dans le département de l’Isère. Mais son compte X fait la part belle à son « pays » de Savoie, comme il aime à l’écrire avec des guillemets, histoire de ne renier son attachement ni à la France, ni à l’Union européenne (UE). Un sentiment d’appartenance multiple et cohérent que cet enfant d’Albertville résume par une formule reprise conjointement dans les colonnes du Progrès et du Dauphiné libéré : « patriote et européen ».

Né en 1951, élu à 22 ans, Michel Barnier est un professionnel de la politique qui n’a pas fait l’École nationale d’administration (ENA). Le Monde rapportait en 2021 qu’il avait été le condisciple de Jean-Pierre Raffarin à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP). « Fils d’une chrétienne et d’un républicain anticlérical », précisait le quotidien du soir dans son portrait. « Son père était chef d’une petite fabrique de coffrets à bijoux et franc-maçon. Sa mère, une catholique de gauche pratiquante », écrivait pour sa part Ouest France en 2018. « Militante dans des associations sociales », peut-on lire aussi chez Public Sénat.

L’intéressé cite aisément cette dernière : « Je ne suis jamais dans le fatalisme ou le regret. J’ai appris ça de ma mère, qui disait : « Il ne faut jamais se retourner. » » Ou encore : « Ne sois jamais sectaire, c’est une faiblesse. » Une éducation dont il aura grandement besoin, s’il souhaite que son expérience à Matignon ne s’avère pas sans lendemain dans le contexte actuel.


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Barnier, le sport et les loisirs

Le tout jeune Michel Barnier est élu conseiller général d’un canton de Savoie en 1973. Au suffrage universel direct et sur son nom, donc. L’Institut national de l’audiovisuel (INA) garde dans ses archives un passage télévisé enregistré deux ans plus tôt, en 1971, alors qu’étudiant, il vient étonnement d’être nommé au Haut Comité de la jeunesse, des sports et des loisirs, un organisme interministériel fraîchement créé à Paris.

C’est pour lui le point de départ d’une expérience qui va le conduire, d’abord, à l’Assemblée nationale, en 1978 à 26 ans, puis à prendre la tête du Conseil général de son département, en 1982, avant de coprésider le Comité d’organisation des Jeux olympiques d’hiver organisés chez lui en 1992 à Albertville, l’une des immenses fiertés de cet amoureux des sports et de la montagne, aux côtés du triple champion olympique Jean-Claude Killy. « Dix années de travail et d’engagement collectif pour seize jours magiques », écrit-il un jour sur Facebook.

« Nous avons travaillé onze ans dans le même bureau à Albertville. Ça permet de découvrir les gens. On s’est entendu très difficilement au début, et nous sommes sortis de cette aventure frères », a réagi ce jeudi l’ancien skieur star des JO de Grenoble 1968, aujourd’hui âgé de 81 ans. Michel Barnier « fait montre, décrit son ami Jean-Claude Killy, d’une capacité à dialoguer extraordinaire. Il a une capacité d’écoute infinie, ce qui est rare. Et il a l’esprit d’équipe, le vrai, sans se mettre en avant. » « L’une des clés de sa réussite, conclut-il, c’est son intégrité totale et sa droiture. Il a la peau épaisse et de l’endurance. Il n’est préoccupé que par la France, et ce sera son dernier job. Ce n’est pas un opportuniste. »



Homme politique complexe, présenté tantôt comme un gaulliste social, voire un centriste très tôt porté sur les questions environnementales contre son propre camp, ses engagements le classent néanmoins clairement aussi parmi les conservateurs français. En témoignent d’ailleurs les réactions à sa nomination à Matignon, très virulentes à gauche, et bien plus prudentes tout à droite de l’hémicycle, au Rassemblement national. « En 1981, le jeune député vote comme François Fillon ou Jacques Chirac contre la dépénalisation de l’homosexualité pour les mineurs de plus de 15 ans », rappelle par ailleurs Public Sénat.

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Le grand tournant bruxellois

UDR, RPR, UMP, LR… Au fil des changements de nom, des étiquettes collées à son front et des appels au ralliement déclinés, Michel Barnier ne s’est jamais renié, n’a jamais quitté sa formation de toujours. Après la défaite de Jacques Chirac en 1988 face au président sortant François Mitterrand, il participe en revanche, avec d’autres figures montantes de la droite, à l’aventure des « rénovateurs », qui tournera court, comme le rappelait Éric Zemmour, en 2009 dans Le Figaro.

Il continue pourtant de se construire une spécificité. En 1990, dans le prolongement d’un travail parlementaire appuyant 100 propositions pour l’environnement, il publie l’essai Chacun pour tous – Le défi écologique. Trois ans plus tard, il rejoint le gouvernement d’Édouard Balladur, en charge précisément de ces questions. Son passage ne se révèle pas anecdotique, loin de là.

Bien qu’il soutienne son Premier ministre dans la lutte fratricide de 1995, Jacques Chirac ne lui en tient pas rigueur puisqu’il le nomme ministre délégué aux Affaires européennes, un poste qu’il conserve pendant deux ans sous la direction d’Alain Juppé, jusqu’à la dissolution de 1997. L’affaire le conduit assez vite à d’autres fonctions prestigieuses.

Michel Barnier atterrit au Sénat pour un temps. Puis, c’est le grand tournant : il est nommé commissaire européen à la Politique régionale et de cohésion. À Bruxelles, il s’impose alors comme un homme de dossier parfaitement adapté à la culture de compromis propre au fonctionnement de l’UE. Une personne à la fois souple et technique.

Jacques Chirac et sa vieille connaissance d’étude, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, le voient bien, puisqu’ils bombardent le Savoyard ministre des Affaires étrangères en 2004. Son expérience au quai d’Orsay se fracassera néanmoins sur le « non » des Français au référendum de 2005, portant sur le traité pour une Constitution européenne (TCE) auquel il avait contribué avec d’autres, dans l’ombre de Valéry Giscard d’Estaing.


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Installé au Conseil d’État en 2005, il doit attendre la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007 pour se relancer encore. Le nouveau président le nomme ministre de l’Agriculture et de la pêche, poste qu’il lâchera pour se lancer, avec Rachida Dati, dans la campagne des élections européennes de 2009. Il retourne ensuite à la Commission, au poste éminemment stratégique du Marché intérieur et aux services, en pleine crise de l’euro.

Témoignage laissant entrevoir la complexité du profil de Michel Barnier, cette réaction ce jour émanant de l’ONG environnementale Générations futures, qui estime qu’en tant que ministre de l’Agriculture, l’intéressé avait « su résister aux pressions, notamment celles de la FNSEA, durant les négociations du Grenelle », au sujet notamment des pesticides. Il avait ouvert la porte des discussions aux ONG. Et le président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) d’abonder dans ce sens : « Je trouve qu’il a eu à la fois du courage, de l’autorité et un sens de l’intérêt général. »

Jamais président de la Commission

Influent membre de la délégation française au sein du Parti populaire européen (PPE, droite), Michel Barnier ne parviendra jamais à rafler la présidence de la Commission européenne, qu’il brigue pourtant activement. Puis, c’est aussi l’échec aux régionales en 2015, où Laurent Wauquiez s’impose à son détriment à la tête de la nouvelle région élargie Auvergne-Rhône-Alpes, raflée à la gauche.

Continuant d’occuper des postes techniques, notamment auprès de la présidence de la Commission de Bruxelles, il ne le sait pas encore, mais son plus grand défi se profile déjà : il va être chargé après le scrutin britannique de 2016 de représenter l’Union européenne dans ses négociations difficiles avec le Royaume-Uni en plein Brexit. La journaliste Christine Ockrent se charge à cette époque de le présenter aux Britanniques dans un portrait pour le magazine Prospect. Pêle-mêle, elle rappelle notamment son passé de scout et d’enfant de chœur, ou encore son amour pour les arbres.

« Il m’a dit, écrit-elle : « La première fois que j’ai voté, c’était pour le référendum sur l’entrée du Royaume-Uni dans le marché commun », le plébiscite de 1972 qui avait ouvert la voie à l’entrée du Royaume-Uni l’année suivante. Inutile de préciser que le jeune Barnier était du côté du gouvernement Pompidou victorieux. » Et le voilà quelques décennies plus tard à négocier la sortie de Londres du projet de toujours de son cœur. Tâche dont il s’acquitte cependant, fidèle à lui-même, c’est-à-dire avec méthode, conviction, fermeté, sérieux et brio, et avec l’espoir, aussi, que cette première historique demeurera « unique », lui qui s’est forgé sous le portrait de De Gaulle et d’Adenauer.


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C’est à la suite de cette immense prise de responsabilités communautaire que Michel Barnier, particulièrement respecté mais toujours assez méconnu du grand public, dévoile ses ambitions au plus haut niveau en France, et se lance dans la primaire de la droite pour l’élection présidentielle de 2022. Un échec.

« Il ne donne pas dans la petite phrase, il n’a pas une personnalité pétillante, il n’est pas assez voyou pour les mœurs françaises et cela en fait un mauvais client pour les journalistes », soulignait un proche dans Ouest France en 2018. « Mais il est loyal, rigoureux, compétent », affirmait de même source un membre de l’équipe « très internationale » l’assistant alors, depuis 2017, ajoutait le quotidien. « Et il aime jouer collectif. »

« Il choisit soigneusement ses mots et, lorsqu’il parle, il vous regarde droit dans les yeux, commentait Christine Ockrent dans son propre portrait. Mais il rougit facilement lorsqu’on le contredit et n’est pas du genre à prendre à la légère les situations absurdes – il admet qu’il pourrait travailler un peu plus son sens de l’humour. »

Le tournant à droite en 2021

En nommant le très expérimenté Michel Barnier Premier ministre, Emmanuel Macron espère pouvoir protéger son héritage politique, et notamment sa réforme des retraites, à défaut d’avoir pu conserver sa majorité parlementaire. À n’en pas douter, derrière le profil apparemment technocrate du nouveau chef de gouvernement se cache un vrai politicien atypique, bien ancré à tous les échelons des territoires. Un homme sensible, à l’évidence, également. Mais c’est encore une mission presque impossible à laquelle va devoir s’atteler le nouveau locataire de Matignon, en pleine élaboration du budget 2025 notamment.

Ses ambitions pour la France, rappelle l’Agence France-Presse, Michel Barnier les avait présentées lorsqu’il s’était porté candidat à la fonction suprême. Et ces dernières avaient été perçues comme étant résolument à droite, jusqu’à surprendre certains observateurs et soutiens.

Il avait défendu des positions particulièrement fermes concernant l’immigration et la sécurité, allant jusqu’à proposer un « moratoire » sur l’immigration doublé d’un référendum pour permettre à la France, disait-il, de retrouver une « liberté de manœuvre » en la matière, choquant certains de ceux qui le voyaient comme un garant des règles garanties par les instances juridiques de l’UE et du Conseil de l’Europe. « Si on ne change rien, il y aura d’autres Brexit », justifiait-il.

Sur le plan économique et budgétaire, il promettait une « stricte trajectoire d’économies » pour le budget de l’État et une « maîtrise de la dette », la retraite à 65 ans, entre autres réformes qu’il voulait « courageuses ». Côté social, il entendait encourager « le travail et le mérite, au détriment de l’assistanat », parlant de suspension des allocations chômage « après deux refus d’une offre raisonnable ». Michel Barnier disait aussi vouloir lutter contre la fraude sociale, notamment à l’Assurance maladie.

« On réduira la pollution agricole avec les agriculteurs, pas contre eux, martelait-il par ailleurs. On décarbonera l’économie avec les entreprises, pas contre elles. » Il défendait le nucléaire et en même temps les énergies renouvelables, précisant sa pensée : photovoltaïque, biomasse, hydraulique, mais pas d’éolien.


À l’évidence ému, l’ancien président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker s’est exprimé après l’annonce de la nomination de Michel Barnier, son ancien rival et néanmoins « ami ». Auprès de l’AFP, il confie : « Il a une faculté d’écoute qui dépasse celle des autres et il sait parler aux autres pour les convaincre (…) C’est donc, à vrai dire, un homme optimalement préparé à la fonction de Premier ministre. »

« Je vois déjà maintenant les commentaires qui sont faits par les uns et par les autres pour décrire Michel Barnier comme un homme de droite pur et dur, c’est une caricature, assure l’ancien Premier ministre du Luxembourg. C’est plutôt un homme du centre droit, pas un fanatique. » « Il connaît tous les problèmes, tous les arcanes, toutes les personnalités, tous les acteurs qui comptent en Europe. » Et de conclure : « Mon cher Michel, garde ton calme ! »

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Source: www.rfi.fr

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