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Île de Pâques: des analyses génétiques écartent le scénario d’un «suicide écologique»

Île de Pâques: des analyses génétiques écartent le scénario d’un «suicide écologique»

Sur l'Île de Pâques, le peuple des Rapa Nui a prospéré pendant plusieurs siècles, jusqu'à l'arrivée des Européens en 1722.

Sur l’Île de Pâques, le peuple des Rapa Nui a prospéré pendant plusieurs siècles, jusqu’à l’arrivée des Européens en 1722. 
Francisco – stock.adobe.com

L’étude des ossements de 15 autochtones dément le mythe selon lequel la population Rapanui aurait été à l’origine de son propre déclin en surexploitant les ressources de l’île.


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Peu d’histoires suscitent autant d’interrogations que celle de la civilisation disparue de l’île de Pâques, de son nom autochtone Rapa Nui. Le scénario le plus populaire veut qu’un groupe de navigateurs polynésiens accoste sur l’île au début du 12e siècle pour y fonder une société florissante. Très vite, la petite communauté s’étoffe, y érige les fameuses statues géantes, les moaï, exploite les sols et abat les arbres, prospérant ainsi pendant plusieurs siècles. Jusqu’à ce que l’inévitable se produise : les ressources s’épuisent et finissent par ne plus pouvoir soutenir la croissance rapide de la population Rapanui qui, selon certaines estimations, aurait atteint jusqu’à 15 000 habitants à son apogée. La famine, la guerre, la maladie voire le cannibalisme emportent une grande partie des habitants, victimes d’un « suicide écologique » ou écocide. Peu de temps après, le 5 avril 1722, le jour de Pâques, les Européens découvrent les quelques survivants et rebaptisent l’île.

Mais ce récit élaboré au 19e siècle, est remis en question par des scientifiques. De récentes analyses de l’ADN d’ossements de 15 individus autochtones, conservés au Museum national d’histoire naturelle et au Musée de l’Homme de Paris apportent de nouvelles pièces au puzzle. Les résultats sont parus dans la revue Nature.

Une origine génétique en partie américaine

S’il a longtemps été admis que les racines des habitants de Rapa Nui étaient exclusivement polynésiennes, plusieurs études suggèrent au contraire que les origines de ce peuple sont le reflet d’un métissage plus complexe, mélange d’une double ascendance polynésienne et sud-américaine. C’est notamment la présence de plusieurs variétés de patates douces retrouvées jusque dans les îles du pacifique qui a mis les scientifiques sur cette piste. La patate douce n’étant pas indigène aux îles du Pacifique, il a été établi que son introduction s’est faite à partir du continent américain environ un ou deux siècles avant l’arrivée des Européens sur Rapa Nui. Autrement dit cela suggère qu’un contact a inévitablement eu lieu entre des peuples sud-américains et polynésiens à la période précoloniale. « Le sujet des contacts trans-Pacifique avant l’arrivée des Européens a suscité de nombreux débats depuis plus d’un siècle, notamment autour des travaux de l’explorateur norvégien Thor Heyerdahl, explique Aymeric Hermann, archéologue au sein de l’UMR Temps du CNRS à Nanterre, qui n’a pas participé à l’étude. Ce dernier a défendu toute sa vie l’idée que la Polynésie avait pu être peuplée par des populations d’Amérique du Sud, ce qui a été réfuté plus tard par des preuves selon lesquelles les ancêtres de toutes les populations insulaires du Pacifique sont issus d’Asie du sud-est et des îles de Papouasie et de Nouvelle-Guinée. »

Cependant, les analyses génétiques d’individus vivant actuellement en Polynésie montrent qu’ils sont porteurs de ce double métissage, explique une étude publiée en 2020. Mais il s’agirait en fait d’explorateurs polynésiens qui sont allés jusque sur les côtes sud-américaines, en sont revenus et se sont aussi installés sur l’île de Pâques. « Cette nouvelle étude confirme cela sur de l’ADN ancien extrait d’ossements de 15 habitants autochtones de Rapa Nui », souligne Aymeric Hermann. Selon ces analyses, les ossements en question portent en effet une signature polynésienne majoritaire, et 6 % à 11,4 % de leur matériel génétique peut être attribué à des ancêtres sud-américains.

La théorie de l’écocide démentie

Reste l’énigme de l’apparente disparition des Rapanui. L’hypothèse du suicide écologique précolonial a plusieurs fois été remise en question, notamment par des datations archéologiques selon lesquelles l’édification des moaï aurait continué bien après l’arrivée des Européens. Argument que viennent aujourd’hui renforcer ces analyses génétiques. Tout d’abord, la datation au radiocarbone des ossements suggère que les individus étudiés ont vécu entre 1600 et 1900, soit jusqu’à 200 ans après le contact européen en 1722. En s’appuyant sur des modèles mathématiques, les scientifiques ont ensuite retracé l’évolution des dynamiques démographiques, c’est-à-dire les moments de croissance et de déclin qui ont pu façonner l’histoire de la population de l’île. « Pour cela nos travaux se fondent sur la théorie de la coalescence, un modèle mathématique selon lequel le génome de chaque individu est constitué de segments de génomes hérités de ses ancêtres dont la longueur et le nombre peuvent indirectement nous donner un indice sur la taille d’une population donnée au fil du temps », explique Évelyne Heyer, professeur en anthropologie génétique au Muséum d’histoire naturel de Paris, coauteur de cette étude.

« S’il y avait eu un effondrement de la population au moment d’un supposé écocide, les auteurs auraient observé un profil plus accentué (en nombre et en longueur) de ces segments du génome, indiquant que la plupart des ancêtres génétiques des Rapanui appartiendraient à une population de taille très réduite », explique Lluis Quintana-Murci, généticien des populations au Collège de France et à l’Institut Pasteur, qui n’a pas participé à l’étude. « Or les analyses suggèrent de façon robuste le contraire ». La taille de la population était effectivement petite, donc génétiquement très peu diverse, au début du peuplement de l’île au 13e siècle. Mais elle aurait ensuite progressivement et régulièrement augmenté jusque vers le milieu du 19e siècle, soit bien après le contact avec les Européens. « Ces résultats sont une estimation, rappelle Anna-Sapfo Malaspinas, chercheuse en génétique des populations au département de biologie computationnelle de l’université de Lausanne, en Suisse, qui a conduit l’étude. Mais ils pourraient corroborer ceux d’autres travaux archéologiques récents  supposant que la population de Rapa Nui n’avait probablement jamais abrité beaucoup plus que les quelque 3 000 personnes rencontrées par les colonisateurs Européens en 1722. »

Petit à petit, la confrontation des récits historiques, des preuves archéologiques et désormais des analyses génétiques, converge ainsi vers la même idée : le déclin démographique de Rapa Nui ne serait pas lié à un écocide. « Loin d’exploiter aveuglément leur environnement, les Rapanui ont su se maintenir et prospérer sur plusieurs siècles dans un environnement rude en mettant en œuvre des techniques agricoles innovantes telles que le « paillage à la pierre » pour remédier à la pauvreté des sols de l’île et ont même réussi à maintenir des pratiques religieuses autour des arbres sacrés en organisant la culture du palmier endémique (Jubea sp.) dans un site cérémoniel exceptionnel d’Ava Ranga Uka, découvert récemment au centre de l’île », souligne Aymeric Hermann.

Le déclin démographique aurait en revanche été initié plus tard au contact des Occidentaux, via l’introduction de maladies notamment, et au travail forcé organisé dans les années 1860, où une grande partie des habitants de l’île a été déportée en Amérique du Sud par de raids d’esclavagistes péruviens. « L’ethnologue Alfred Métraux évoque une population d’une centaine d’individus seulement à la fin du 19e siècle, dont une partie a suivi des missionnaires français dans les îles Gambier en Polynésie française, et il subsiste encore aujourd’hui des descendants de cette diaspora à Tahiti », complète Aymeric Hermann.
 

Source: www.lefigaro.fr

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