La photo retrouvée de Raoul Minot, le « photographe fantôme » du Paris occupé
EnquêteAprès la publication, en août, d’une série d’articles sur les traces de cet homme auteur d’environ 700 photos prises au péril de sa vie dans la capitale entre 1940 et 1942, « Le Monde » a pu récupérer la seule image manquante à cette histoire : la sienne.
Le voici donc, ce héros oublié… Sur cette photo inédite, remontant sans doute à la fin des années 1930, Raoul Minot doit avoir près de 50 ans. C’est un homme de belle allure, cheveux blancs et costume noir. Son regard, empreint à la fois d’assurance et d’une forme de douceur, est celui d’un cadre fier d’avoir fait carrière au Printemps. Engagé par le célèbre magasin parisien en 1911 en tant que vendeur de mouchoirs, il a gravi les échelons à son retour de la Grande Guerre, en 1919, jusqu’à devenir sous-chef aux « réserves », les coulisses où sont stockées les marchandises. Le Printemps Haussmann, c’est sa vie : son épouse, Marthe, y travaille également, comme caissière. Tous deux ont une fille adolescente, prénommée Jacqueline. Ils habitent Bécon, un quartier de Courbevoie, en banlieue ouest. Une famille sans histoire, pour ainsi dire ordinaire.
Il ne faut jamais se fier aux apparences avec pareil personnage. Raoul Minot avait l’art de tromper son monde. Et ce cliché d’identité, a priori si banal, marqué de trous d’agrafe ou de traces de trombone comme s’il avait eu plusieurs vies sur divers documents, renvoie en réalité à un destin d’exception. Surtout, il nous offre l’essentiel : un visage.
D’un coup, ce photographe amateur si longtemps resté anonyme, ombre parmi les ombres dans le Paris sous emprise allemande des années 1940-1942, est là qui nous regarde, nous prend à témoin, et l’on se laisse aller à l’imaginer en maraude, avec son petit appareil, un Kodak Brownie 6/9. De Montmartre à la gare Saint-Lazare, des Champs-Elysées à la Concorde ou à la proche banlieue ouest, il enchaîne les prises de vue, composant au jour le jour un trésor clandestin d’environ 700 images : les rues désertes, le marché aux puces, les soldats allemands en balade au bras de Françaises…
Le Monde a relaté tout cela dans une série de cinq articles publiée au mois d’août. Cette enquête, lancée quatre ans plus tôt à partir d’un étrange album chiné dans une brocante par une productrice de films documentaires passionnée de photographie, Stéphanie Colaux, a permis d’identifier Minot comme étant l’auteur de ces photos interdites, pour la plupart datées, numérotées et assorties, au verso, de commentaires souvent ironiques sur les « Fritz ». A l’époque, pareilles audaces, de la part d’un Français non accrédité, pouvait valoir les pires sanctions. Pour lui, l’homme de Bécon, ce fut la déportation.
Le dernier volet de la série s’achevait sur un paradoxe : l’absence d’une photo de Minot lui-même. Comment mettre un visage sur ce nom ignoré des spécialistes de la Résistance ? Faudrait-il se contenter des bribes d’indications piochées dans son dossier militaire, aux archives de l’Allier, son département de naissance ? Rappelons-les, ces indices de portrait-robot : « 1,76 m » ; les yeux et les cheveux « noirs » ; le visage « osseux » ; le front « bombé » ; le nez « large ». Tout cela date de sa jeunesse, du temps de son passage – héroïque et récompensé de la Croix de guerre – dans l’armée de 1914-1918. L’homme de la petite photo, à l’évidence plus âgé, n’a ni les cheveux « noirs » ni le visage « osseux », mais il s’agit bien de lui, et cette découverte doit beaucoup à un lecteur du Monde.
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