Critique
L’historienne Clémentine Vidal-Naquet affronte les mystères d’un album retraçant le voyage de noces d’un ancien soldat et de sa femme, dans les ruines de la France de 1919. Captivant.
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Noces de cendres. Un voyage dans les ruines de la Grande Guerre
de Clémentine Vidal-Naquet
La Découverte, collection « À la source », 296 p., 20 €
Au départ, il y a un objet. Un album composé avec soin par un soldat tout juste démobilisé, en souvenir de son voyage de noces en 1919. Sous son épaisse couverture de cuir, 551 photographies et cartes postales, détourées et légendées. Sur leur surface jaunie par le temps, des villes et des villages en ruines, des trous d’obus et des arbres décharnés, paysages ravagés du nord de la France et de la Belgique. Arras, Reims, Ypres… Au départ, il y a donc un objet, et une question : pourquoi, au sortir de la Grande Guerre, un jeune homme, engagé volontaire à 17 ans, blessé durant le conflit et humilié par une sanction, convie sa jeune épouse à un périple nuptial sur les champs de bataille ?
Cette énigme, l’historienne Clémentine Vidal-Naquet a cherché durant des années à en cerner les contours. De cette quête, elle fait à présent le récit dans la belle collection qu’elle a lancée en 2019, invitant des historiens à écrire en toute liberté sur des archives « entêtantes ». L’album découvert dans les collections de l’Historial de la Grande Guerre, à Péronne (Hauts-de-France), est de ces « sources » qui hantent le chercheur, se dévoilant avec lenteur et défiant en un éclair sa patiente analyse.
Les mystères entêtants d’un album de noces
Gérald Debaecker, 22 ans, et Berthe Briant, 25 ans, se marient le 4 septembre 1919 à Paramé, en Ille-et-Vilaine. C’est « au plus près » de ce couple que Clémentine Vidal-Naquet entend se tenir, assumant d’emblée l’échelle individuelle et l’attention aux expériences sensibles qu’elle permet. Sous sa plume, l’album nuptial dément le prétendu silence des combattants de retour. Il témoigne de la manière dont, dans cet immédiat après-guerre, se livre l’intime, se sélectionnent les souvenirs, et rend palpable l’emprise de la guerre sur les vies bien après l’arrêt des armes.
Au terme de cette enquête, conduite avec rigueur et enlevée comme une intrigue romanesque – jusqu’au retournement final qui saisit l’historienne comme son lecteur – demeurent des zones d’ombre tenaces. Sur les motivations profondes de cet ancien soldat, qui deviendra en 1943 l’un des 5 800 Français qui prêtèrent serment à Hitler. Sur le ressenti de sa femme, dont la vie, de bout en bout enchaînée à la guerre, est évoquée en contrepoint. Comme sur notre capacité à percevoir, à plus d’un siècle de distance, leurs failles et leurs ambitions.