Dans une vidéo intitulée « Kamala Harris pense que vous êtes trop stupides », le site pro-Trump Learn About Kamala – dédié au partage de vidéos visant à discréditer le bilan de Kamala Haris sur les thèmes de l’immigration, de l’insécurité et du pouvoir d’achat – affirme, vidéo à l’appui, que Kamala Harris aurait jugé les jeunes Américains « trop stupides » pour comprendre l’inflation.

Dès les premières secondes de la vidéo, une voix-off assure : « Jeunes Américains, Kamala Harris pense que vous êtes trop stupides pour réaliser qu’elle est responsable de notre inflation record. » S’en suit un extrait d’archives dans lequel on voit et entend Kamala Harris prononcer lors d’un discours la phrase : « Que savons-nous d’autre sur cette population ? Ils sont stupides. » La voix off poursuit en listant des biens ou services (produits alimentaires, logement, électricité, soins médicaux, etc.) dont les prix ont augmenté.

Après sa publication sur le site Learn About Kamala, la vidéo a été publiée le 5 septembre 2024 sur X via le compte du comité d’action politique pro-Trump Rights for America. La publication a par la suite été repartagée par Elon Musk et cumule désormais plus de 44 millions de vues.  

Une phrase décontextualisée 

Mais l’extrait de discours utilisé dans la vidéo est en réalité tiré de son contexte. Pour retrouver le discours initial, la rédaction des Observateurs a effectué la recherche « Kamala Harris thinks young people are stupid » sur Google. Les premiers résultats qui apparaissent sont des articles de fact-checking de différents médias anglophones (Reuters, VERIFY et FactCheck.org) qui semblent déjà avoir traité le sujet plusieurs mois ou années auparavant.

En consultant l’un de ces articles, on retrouve facilement la vidéo du discours original de Kamala Harris, qui date en réalité de 2014, lorsqu’elle était procureure générale de Californie. L’extrait utilisé par le site Learn About Kamala se situe entre 17:43 et 17:49. Lors de ce discours, prononcé le 8 mai 2014 à l’occasion du symposium Renewing Communities, Kamala Harris défendait l’initiative « Back on Track », un programme de réinsertion visant à réduire la récidive parmi les jeunes accusés de trafic de drogue de faible niveau.  

Pour expliquer et justifier cette initiative, Kamala Harris soulignait, en présentant son expérience personnelle, à l’époque où elle était étudiante, la différence entre la manière dont les étudiants à l’université étaient perçus et celle dont les jeunes adultes dans le système judiciaire étaient considérés. Elle déclare ensuite : « Quelle est l’autre chose que nous savons à propos de cette population [entre 18 et 24 ans, NDLR] ? Il s’agit d’une phase spécifique de la vie […]. Ils sont stupides. » On entend alors le public rire en réponse au commentaire, ce qui souligne la nature humoristique de cette remarque visant en réalité à rappeler que des jeunes de 24 ans peuvent encore avoir besoin de conseils et d’orientation et sont plus enclins à prendre des mauvaises décisions.

Le montage qui circule massivement ne tient donc pas compte du contexte dans lequel la phrase a été prononcée : une discussion sur un programme pour la jeunesse visant à réduire la récidive par l’éducation. 

Une inflation aux causes multiples  

Il est difficile de vérifier les chiffres avancés sur l’inflation dans la vidéo, car presque aucune précision n’est apportée quant à la méthode utilisée ou la période étudiée. Toutefois, les accusations qui sont faites à Kamala Harris dans le domaine de l’inflation peuvent être mises en contexte.

Pour Sylvie Matelly, experte en économie internationale et directrice de l’institut Jacques Delors, interrogée par notre rédaction, ce sont les plans de relance successifs de Donald Trump et de Joe Biden à la sortie du Covid-19 qui auraient principalement contribué à créer de l’inflation dans le pays. « Donald Trump et Joe Biden ont massivement investi dans les dépenses publiques du pays pour redonner du pouvoir d’achat aux Américains. À eux deux, c’est 25 % du PIB du pays qui a été investi. Mais dans une économie déjà soutenue comme celle des États-Unis, cela crée de l’inflation », explique-t-elle.

De son côté, Christophe Blot, professeur d’économie associé à l’Université Paris Nanterre et directeur adjoint du département Analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques, précise : « Pour protéger le pouvoir d’achat des Américains, Donald Trump a signé en 2020 un plan d’urgence qui prévoyait la mise en place d’une allocation chômage au niveau de l’État fédéral de 600 dollars par semaine pour tous les Américains au chômage, quels que soient leurs revenus. Cette allocation a été distribuée en supplément des allocations chômage déjà prévues par chaque État. Cela a créé un véritable choc sur les revenus des ménages, et les États-Unis sont un des rares pays où les ménages ont surcompensé car ils touchaient plus que ce qu’ils gagnaient auparavant. Un an plus tard, en 2021, Joe Biden lance son ‘American Rescue Plan’, un autre plan de relance qui a fait beaucoup débat auprès des économistes du pays qui, déjà à l’époque, alertaient sur le risque d’inflation que faisait peser cette politique. »

En ce sens, on peut affirmer que l’administration Biden-Harris a effectivement contribué à l’inflation aux États-Unis, mais, comme le souligne Sylvie Matelly, « cette relance économique avait déjà été amorcée par Trump ». Elle rappelle également que la forte baisse des impôts en 2017 sous l’ancien président, ainsi que les politiques protectionnistes de son administration, avaient aussi favorisé l’inflation.

Christophe Blot rappelle par ailleurs que l’inflation aux États-Unis « s’inscrit dans un contexte d’inflation mondiale ». La hausse des prix du pétrole, de l’électricité et du gaz à l’échelle mondiale a provoqué une augmentation des coûts des matières premières.